Thèse de Doctorat en Géographie : Portrait de Théo Martin

Une thèse de doctorat en géographie est une aventure enrichissante! La géomatique se pratique dans de nombreuses disciplines et divers secteurs d’activités. A travers ce post, on présente la géomatique dans le monde de la recherche scientifique avec Théo Martin, Docteur en Géographie. Ses recherches de thèse portaient sur la robotisation de la traite et nouvelle division du travail dans l’élevage laitier français. Cette discussion a pour objectif de cadrer le parcours d’un docteur en géographie. Puis, on présentera également les travaux de recherche en géographie appliqués à l’agronomie. Enfin, Théo évoquera le postdoctorat.

Contexte de la thèse de Doctorat en Géographie

Pour rappel, quelle est la différence entre la thèse et le doctorat ? La thèse est le document rédigé et présenté devant un jury afin d’obtenir le diplôme de doctorat et par extension le titre de Docteur de la discipline concernée.

FD (Florian DELAHAYE, Geomatick) : Bonjour Théo, tout d’abord je te remercie pour cet échange. Tu as soutenu ta thèse en Géographie en octobre 2023. Peux-tu présenter ton parcours avant de commencer ta thèse de doctorat?

Théo Martin, Docteur en Géographie
Théo Martin, Docteur en Géographie.

TM (Théo Martin) : Bonjour Florian et merci pour cette interview. J’ai une formation initiale d’ingénieur agronome avec une spécialité sur les questions de développement agricole. J’ai d’abord travaillé pour l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) au Sénégal. Ma mission consistait à questionner et mesurer les effets d’un projet d’innovation participative pour l’adaptation au changement climatique des agriculteurs et éleveurs sénégalais. Après cette expérience fort stimulante, j’ai travaillé dans un institut technique faisant de la recherche appliquée pour les exploitations céréalières françaises.

Mon travail consistait essentiellement à mesurer les effets économiques des politiques publiques et des changements de pratiques. Ces deux expériences ont été très formatrices pour moi, mais je sentais que je voulais aller plus loin dans mes réflexions et ne pas être tenu par l’impératif d’un travail opérationnel à court terme. C’est la principale raison qui m’a amené à me tourner vers la recherche et donc la thèse.

Trouver un sujet de thèse de doctorat en géographie

FD : L’intitulé exact de ta thèse de doctorat est : « Les Sentinelles de l’Etable. Robotisation de la traite et nouvelle division du travail dans l’élevage laitier français ». Tu as reçu la proposition de ce sujet de thèse en géographie dans la continuité de ton diplôme d’Ingénieur? Ou tu as trouvé ce sujet auprès d’une école doctorale de géographie?

TM : Parallèlement à ma dernière activité, j’ai donc écrit un projet de thèse que j’ai ensuite envoyé à différents chercheurs avec lesquels je souhaitais travailler. Une fois les financements obtenus, j’ai démissionné et j’ai commencé ma thèse en septembre 2019 à l’Inrae, dans un laboratoire qui s’intéresse aux innovations des systèmes agricoles et alimentaires (UMR Innovation, Montpellier). Ce projet de thèse c’est vraiment le résultat d’échanges avec un chercheur, Pierre Gasselin, avec qui ça a très vite matché, scientifiquement et humainement. Il m’a accompagné et guidé pour que je puisse formuler moi-même ce projet. Il m’a également impliqué dans la recherche de financement. C’est une démarche très différente que celle de postuler à un sujet déjà formulé et qui permet, je trouve, une réelle appropriation de la question de recherche.

Pourquoi faire une thèse de doctorat en géographie ?

FD : Pourrais-tu nous dire pourquoi tu as voulu faire un doctorat en géographie ? Pour toi, quel est l’intérêt de faire un doctorat ?

TM : Mon choix de spécialisation en dernière année d’école d’ingénieur m’a plutôt amené du côté des sciences sociales et en particulier de l’économie agricole et de la géographie rurale. J’ai donc hésité entre ces deux disciplines. Pour moi, l’avantage de la géographie, c’est sa diversité épistémologique : il y a de nombreuses manières de faire de la géographie et de concevoir l’espace géographique. On peut tout aussi bien s’intéresser à l’espace vécu, aux constructions sociales et aux représentations de l’espace qu’à un espace support d’une politique publique ou encore à un espace borné par les caractéristiques d’un milieu biophysique donné.

Comme mon objet de recherche, c’est le travail des agriculteurs, la géographie me permet de m’en saisir d’une manière très riche. Pour moi, le travail en agriculture est autant le résultat d’un milieu biophysique et des outils disponibles pour l’exploiter que de différents espaces où se construisent les règles, les normes et les valeurs qui régissent le travail et en particulier son organisation collective. Faire de l’élevage laitier dans les montagnes de Haute-Savoie ou dans le bassin rennais n’implique pas du tout les mêmes outils, les mêmes temporalités, les mêmes organisations sociales, etc.

Financements de thèse de doctorat

FD : Oui je suis tout à fait d’accord, la géographie est une discipline transversale. Je voulais revenir sur la problématique de financement d’une thèse de doctorat en géographie.  Est-ce que tu es payé pendant un doctorat ? As-tu reçu une allocation ministérielle par exemple?

TM : J’ai obtenu deux demi-bourses de thèses dont l’origine des financements est publique : une provenant de l’institut convergence numérique (DigiAg) qui finance des travaux sur l’agriculture numérique, l’autre provient d’un métaprogramme de l’Inrae (GloFoodS). Ces financements m’ont permis de toucher un salaire pendant un peu plus de trois ans sur les quatre années de thèse. Mon laboratoire m’a également aidé en prolongeant mon salaire sur quelques mois en dernière année de thèse. En sciences sociales, il est malheureusement très courant de terminer sa thèse au chômage, car les financements sont le plus souvent calibrés pour des thèses en sciences naturelles qui durent généralement autour de trois ans.

En sciences sociales, le temps de thèse est plus long et les fins de thèses sont souvent financièrement compliquées pour les doctorant.e.s. Les demi-bourses m’ont également permis de financer mes nombreux déplacements, car j’avais deux terrains d’étude très éloignés de mon laboratoire de Montpellier (La Haute-Savoie et l’Ille-et-Vilaine). À cet égard, je dois dire que j’ai eu des conditions de travail, matérielles et financières, assez favorables, ce qui est malheureusement peu courant pour les doctorant.e.s en sciences sociales.

Expérience personnelle de la thèse de doctorat

FD : Tu as réalisé ta thèse de doctorat en géographie en 4 ans. Comment préparer une thèse de doctorat ? Peux-tu nous décrire tes ressentis lors de ces 4 années de recherche en géographie ?

TM : Je vais parler de mon expérience personnelle de la thèse, mais il faut savoir qu’il existe une grande diversité de thèses, de manière de la faire, de la vivre et de projets professionnels derrière. Ce qui est certain c’est qu’il faut un intérêt marqué par la démarche de recherche, car faire une thèse c’est faire de la recherche. C’est mon cas, je suis véritablement passionné par la recherche, formuler des questions, mener des enquêtes, fouiller des archives, explorer des données, les interpréter et discuter ces interprétations, etc. La lecture et l’écriture sont deux activités centrales de la recherche, en particulier en sciences sociales où la langue constitue notre outil de travail.

C’est par les mots que l’on saisit les choses et qu’on les rend intelligibles. J’aime beaucoup lire et écrire, je pense que c’est là un point essentiel qui m’a amené à faire une thèse. Après, la thèse est une aventure dans le sens où ce n’est pas un long fleuve tranquille où coule une routine bien rodée. Il y a des périodes très fécondes et stimulantes puis d’autres, plus douloureuses, avec beaucoup de questionnements et de doute. L’environnement humain et notamment l’encadrement des directeur.rice.s de thèse est très important pour mieux vivre ces périodes difficiles.

Travaux de recherche en géographie

FD : Nous avons échangé à plusieurs reprises lors de tes travaux de recherches en géostatistique. Peux-tu nous décrire succinctement les méthodologies mises en œuvre pour analyser la distribution spatiale de la robotisation de la traite ?

TM : Ma thèse est à cheval entre la sociologie du travail et la géographie rurale. Sur le plan méthodologique, elle s’appuie sur un travail d’entretiens sociologiques avec des éleveurs et d’autres acteurs de la traite robotisée et des données statistiques notamment analysées par un travail cartographique. La particularité de mon usage de la cartographie est de combiner un traitement géomatique de données statistiques avec des données d’entretiens ou d’archives.

L’intérêt pour moi était de mettre en regard des cartes en apparence objectives, car reposant sur des données collectées suivant des normes statistiques (mais en fait les données géomatiques sont toujours porteuses d’une certaine représentation du monde) avec des informations ancrées dans des constructions sociales, des paroles d’acteurs. Par exemple, dans plusieurs entretiens, on m’a expliqué que la traite robotisée impliquait une contrainte spatiale pour les concessionnaires qui commercialisent les robots. C’est à partir de ces entretiens que j’ai eu l’idée de collecter des données sur les clients d’une concession pour voir si ces représentations de l’espace traduisaient un effet « bassin de maintenance » perceptible par un travail cartographique (figure 1).

Exemple de cartographie dans une thèse de doctorat en géographie.
Figure 1 : Densité du réseau métropolitain de distribution du robot de traite, T. Martin (2023).

Cet usage de l’outil cartographique s’est notamment nourri des articles de cartographie critique, en particulier les articles de Nicolas Lambert publié sur son blog Neocarto.

Cartographie figurative

FD : Dans ta thèse de doctorat en géographie, tu as utilisé une méthodologie ancienne pour la représentation cartographique. Peux-tu nous en faire part ?

TM : Dans ma thèse, je me suis intéressé à la trajectoire des exploitations agricoles. Dans ces trajectoires, je regardais plus spécifiquement l’évolution conjointe de la structure (surface, taille du troupeau, volume de production, nombre d’actifs), des équipements (notamment de traite) et du collectif de travail (nombre et type d’actifs, division du travail). Mais ce qui m’intéressait c’était aussi le regard que portaient les éleveurs sur leur trajectoire. Pour représenter des trajectoires types, j’ai longtemps cherché des figures qui organisent des données quantitatives et des données qualitatives sur une frise chronologique.

Malgré les nombreux travaux sur les trajectoires d’exploitation agricole, je n’ai rien trouvé de satisfaisant. Le travail de Charles-Joseph Minard, un ingénieur français du XIXe siècle, m’a beaucoup inspiré. Les cartes et tableaux figuratifs de Minard constituent un formidable exemple de représentations synthétiques et de mise en regard de nombreuses variables et informations. En particulier, sa carte sur la campagne de Russie de Napoléon (figure 2 – carte de 1869) est pour moi un modèle de carte figurative.

Carte figurative de Charles Minard publiée en 1869
Figure 2 : Carte figurative des pertes successives en hommes de l’armée française dans la campagne de Russie 1812-1813, Charles Minard (1869).

Exemple de cartographie figurative

Mon problème était que mes trajectoires d’exploitation ne comportaient aucune dimension spatiale, mais seulement temporelle. Malgré cette impossibilité à cartographier, j’ai tout de même emprunté à Minard l’idée d’une proportionnalité entre la taille d’un motif et la valeur quantitative qu’elle représente. Cela m’a permis de traduire l’évolution de la taille des troupeaux dans la trajectoire des exploitations étudiées (figure 3).

Exemple d'une carte figurative en géographie
Figure 3 : Trajectoire d’une exploitation laitière du plateau des Bornes équipée de robots de traite depuis l’installation de Jean-Marc, chef d’exploitation (3 entretiens – ENT E18-74), T. Martin (2023).

FD : En effet, la carte figurative de Minard est très inspirante. Quels sont les logiciels de Systèmes d’Informations Géographiques utilisés lors de tes travaux de recherche ?

TM : J’ai uniquement utilisé QGIS qui permet de nombreux traitements géomatiques et était amplement suffisant pour mes usages cartographiques. L’intérêt de QGIS réside également dans la grande communauté qui est derrière : on trouve toujours une réponse à sa question.

FD : As-tu réalisé des partenariats avec divers laboratoires scientifiques, des sociétés privées et/ou des structures publiques ?

TM : En dehors de mon laboratoire, je n’ai pas formalisé de partenariat, mais j’ai échangé et travaillé avec une grande diversité de personnes : des chercheurs de différents laboratoires et de différentes institutions (Inrae, CNRS, Université), des conseillers agricoles du contrôle laitier, des concessionnaires du machinisme agricole, des techniciens, le syndicat interprofessionnel du Reblochon, etc. La thèse est un exercice parfois solitaire, mais qui permet de rencontrer une grande diversité d’acteurs aux connaissances variées, c’est très riche.

Résultats des recherches en géographie

FD : Es-tu satisfait des résultats de recherche mis en en évidence lors de ta thèse ?

TM : Il n’existait pas de thèse de sciences sociales sur la traite robotisée. Du coup, il est plus facile de proposer des résultats originaux. Un résultat de ma thèse qui me tient particulièrement à cœur est que le robot de traite ne diminue pas le temps de travail des éleveurs, mais participe plutôt d’un déplacement du travail. Ce résultat est pour moi vraiment important, car il déconstruit un imaginaire de substitution qui imprègne nos représentations collectives des robots et oriente les politiques publiques sur les robots en agriculture. Pourtant, beaucoup de travaux dans d’autres disciplines soutiennent l’idée d’une diminution du temps de travail. Cela produit des controverses très stimulantes qui questionnent les frontières sociales du travail et les moyens de sa mesure.

FD : As-tu publié dans des revues scientifiques ? Ou as-tu présenté tes travaux de recherches dans différents séminaires en France ou à l’étranger ?

TM : J’ai eu la chance de pouvoir présenter mes travaux dans différents colloques, séminaires ou symposiums, tout au long de ma thèse. Ça oblige à formaliser des résultats intermédiaires et à soumettre ses raisonnements aux pairs, ce sont des moments très importants dans la construction de la science en général et dans une thèse en particulier.

Publications scientifiques

J’ai également publié deux articles dans des revues à comité de lecture, un dans une revue internationale en anglais, l’autre dans une revue francophone :

En sciences sociales, il n’est pas de coutume de faire des thèses sur articles ce qui limite forcément le nombre d’articles en sortie de thèse. Mais la rédaction du manuscrit de thèse est un moment important dans nos disciplines et je trouve ça essentiel de prendre le temps de formaliser sa pensée dans un tel format, c’est un exercice très formateur. Pour valoriser ce manuscrit, j’aimerais prendre le temps de travailler sur un ouvrage moins académique en format « essai ».

FD : Où peut-on trouver ta thèse de doctorat ? Où trouver toutes les thèses ?

TM : La plupart des thèses sont aujourd’hui disponibles sur theses.fr et accessible à tout.e.s au téléchargement. Parfois, pour diverses raisons, les thèses sont confidentielles ou soumises à un embargo, ce qui veut dire qu’elles restent indisponibles pendant un certain temps. Certaines thèses, notamment les plus anciennes, ne sont pas disponibles en ligne, mais si on cherche une thèse en particulier, on peut souvent la trouver dans la bibliothèque universitaire de l’Université de délivrance du doctorat.

Le Postdoctorat en Géographie

FD : Tu es désormais Docteur en Géographie. Que fais-tu actuellement?

TM : Deux mois après ma soutenance, j’ai commencé un postdoctorat de deux ans. Le postdoctorat c’est un CDD qui permet de poursuivre ses recherches et souvent d’aborder des aspects, des thématiques ou des méthodes différentes de la thèse. C’est une période très dense, car il faut valoriser sa thèse à travers des communications scientifiques et des articles, mettre en œuvre une nouvelle démarche de recherche, mais aussi penser à la suite, c’est-à-dire préparer les concours pour devenir chercheur titulaire. C’est aussi une étape d’apprentissage du métier de chercheur, car il faut jongler entre différents aspects du métier tels que l’animation scientifique, l’enseignement, l’encadrement, les communications, la recherche, etc. … comme en thèse, mais de manière plus intense.

FD : Beaucoup de personnes se posent la question, quel est le salaire d’un docteur en géographie ?

TM : Durant la thèse, mon salaire tournait autour de 1450 euros net par moi. Il a un peu augmenté en fin de thèse suite à des revalorisations. Maintenant, en tant que postdoctorant, je touche 2100 euros par mois. Nos salaires sont calés sur des grilles qui prennent en compte notre expérience dans la recherche.

FD : Quels sont tes objectifs professionnels à moyen terme ?

TM : L’objectif c’est de faire de la recherche ! C’est ce qui me passionne, donc même si les places sont peu nombreuses, je veux devenir chercheur titulaire, ce qui veut dire continuer à chercher, publier et passer des concours.

FD : Théo, je te remercie pour cette discussion enrichissante sur ta thèse de doctorat en géographie. Je te souhaite une bonne continuation et une pleine réussite dans tes projets professionnels.

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A propos Florian Delahaye

Passionné de Géomatique

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